
en complément de cet article voir notre inventaire ouvert, avec apport de nouveaux courriers transsibériens
l’Introduction de Bruno:
En 2014, débutant en philatélie, je me suis pris de passion pour la Semeuse et particulièrement le 10c rouge Camée. Très rapidement je me suis intéressé aux pièces sur documents, plus parlantes que les timbres seuls, et permettant de faire voyager l’esprit…
Lors d’une réunion du club, un collègue m’a proposé une lettre revêtue de ma petite figurine préférée, et qui semblait avoir pris le train pour traverser l’Europe et l’Asie. Je l’ai donc acquise même si elle n’était pas très belle, un timbre au type 1A très ordinaire et une enveloppe défraîchie. Mais la destination et l’itinéraire me plaisaient.
J’adhère à l’Union Marcophile la même année et mon premier acte est d’acheter la collection des FM disponibles (à partir du n°170), que je récupère lors d’un déplacement professionnel dans la région d’Orléans, et je commence à les parcourir immédiatement le soir même dans ma chambre d’hôtel.
Arrivé au n°200, un gros n°spécial pour ARPHILA 75, je trouve un article du Dr Camboulives sur « La Poste Française et Le Transsibérien »….
TONNERRE de BREST! il parle de ma lettre!
collection BB Lisieux
ou du moins d’une lettre qui doit y ressembler…
Le mois dernier, juste avant de fermer le Cercle pour les vacances, un autre collègue nous donne la photocopie d’un article du même Dr Camboulives paru dans l’ECHO de la TIMBROLOGIE n°1592 de novembre 1987 sur le même sujet. Donc 12 ans après Arphila il doit contenir des information plus fraîches…
Que dit le Dr Camboulives?:
Historique de la ligne:
Les travaux débutent en 1894, en partant des 2 extrémités comme pour le trans-américain. En 1900, la ligne est terminée sauf pour la traversée du lac Baïkal, dès cette période le courrier est transporté dans les 2 sens, donnant une alternative au transport par bateau entre l’extrême-orient et la France.
carte du transsibérien en 1902 sans liaison entre Irkoutsk et Myssovaïa
Mais il reste à traverser le lac Baïkal en bateau l’été…
embarcadère côté Ouest (carte postale russe)
…ou sur la glace l’hiver (un brise-glace fonctionnait encore en 1904)
gravure dans THE GRAPHIC, du 27 février 1904
extrait de « Histoire de la Locomotion Terrestre » (N° spécial de L’Illustration)
la Triplex Mallet
Pendant la guerre Russo-Japonaise de 1904/1905, il y aura même des rails posés sur la glace! mais à ce moment, le courrier international ne passe plus.
gravure du supplément illustré du PETIT JOURNAL du 20 mars 1904
Fin 1904, la ligne est complétée par une voie contournant le lac par le sud, on peut enfin aller directement de Moscou à Vladivostok.
Ensuite il y a la 1ére révolution russe en 1905. Il faudra attendre 1907 pour voir ré-ouvrir le service courrier international par le Transsibérien. Il ferme à nouveau en octobre 1917 avec la 2éme révolution et il ne reprendra qu’en 1922. Pour la France, le courrier est interrompu à partir d’août 1914 entre l’Indochine et la Métropole.
Le transport du courrier pour ou de France via Sibérie:
Le Dr Camboulives nous indique plusieurs périodes et les quantités de lettres connues, mais il faut différencier 2 cas: les courriers pour (ou de) la Chine et le Japon, et les courriers pour (ou de) l’Indochine.
le cas de la Chine et du Japon
-avant octobre 1903: rares lettres dans le sens Asie-France avant 1902, les Russes taxent fortement ces courriers à partir de 1902
-du 1 octobre 1903 au 2 février 1904: Accords de l’UPU, quelques lettres dans le sens Asie-France, 1 lettre dans le sens France-Asie (Grenoble/Isère 12.11.1903 pour Shangaï/Chine, 08.12.1903) signalée par Jean Rouchy FM n°278, 3e trimestre 1994. Et suite à la 1ère parution de cet article: 1 carte postale de Lyon pour Canton du 15 octobre 1903 signalée par Bruno Chabrolin. Cette carte est postérieure de seulement 15 jours à l’ouverture officielle de la ligne au transit du courrier international.
carte postale de Lyon (15/10/1903) pour Canton (14/11/1903), Par Transsibérien et via Shangaï (10/11/1903) Coll BB Lisieux
-février 1904 à 1907: quelques courriers (militaires) dans le sens Asie-France signalés mais non vus , aucune dans le sens France-Asie. L’existence réelle de courrier France-Asie peut-être mise en doute, les relations postales par la Sibérie étant arrêtées pour raison de guerre Russo-Japonaise!
-1907 à août 1914: plusieurs courriers dans le sens Asie-France, 1 lettre dans le sens France-Asie (Nonza/Corse 28.10.1911 pour Yokohama/Japon, 21.11.1911) signalée dans l’article de 1987.
Suite à la première parution de cet article, une seconde lettre nous a été signalée, de Marseille pour Kobé en avril 1909.
lettre de Marseille-Capucine du 2 avril 1909 pour Kobé, Collection René Millon
de Chine (Tien-Tsin) vers la France, janvier 1913 (collection SetMC Lisieux)
le cas de l’Indochine
Selon le Dr Camboulives, en 1987 on ne connaissait pas de courrier de ou vers l’Indochine via le Transsibérien avant mai 1913 car, bien que le tarif « franco-colonial » ait été abaissé au tarif « intérieur » comme le confirme le décret du 6 décembre 1912 paru au Bulletin Mensuel des Postes de janvier 1913 :
Bulletin Mensuel des Postes et des Télégraphes, janvier 1913, page 14
il faut attendre une note de mars 1913 pour que ce tarif soit appliqué sur la voie transsibérienne! Jusqu’à mars 1913, le public n’avait pas connaissance de la possibilité d’expédier son courrier autrement que par bateau (voie classique des Messageries Maritimes, ligne de Marseille à Yokohama) au tarif intérieur.
Bulletin Mensuel des Postes et des Télégraphes, mars 1913, page 64
En août 1914, suite à la déclaration de guerre entre la France et l’Allemagne, la relation postale entre l’Indochine et la France est officiellement interrompue via la Russie. Toutefois, certains courriers vont continuer à circuler par cette voie, mais le délai n’est pas moins court que par bateau:
lettre recommandée de Hanoï-Gare (17 mai 1916) pour Paris (22 juin 1916), via Hanoï et Shangaï,
trajet de 35 jours, la lettre doit contourner l’Allemagne (Coll. SetMC)
entre mars 1913 et août 1914: plusieurs lettres connues dans le sens Indochine-France, 2 cartes-postales dans le sens France-Indochine (St Omer/Pas de Calais 01.07.1913 pour Hanoï/Tonkin, 01.08.1913) signalée dans l’article de 1975 et (Toulon/Var 18.05.1913 pour Hanoï/Tonkin sans TàD de distribution, via Shangaï/Chine 07.06.1913) qui nous a été signalée après parution de cette article.
carte postale de Toulon pour Hanoï, le tarif de la carte postale à 5c via le Transsibérien a fait hésiter le postier sur la nécessité de taxer!
la carte n’a rejoint la dépêche pour le Transsibérien qu’en Belgique (normalement, les dépêches partaient closes, de Paris Gare du Nord)
bien que sans TàD de distribution de Hanoï, le délai Bruxelles/Shangaï confirme la voie utilisée
collection J-C Tomasi (au moins jusqu’en 2016…)
Que montre notre lettre?:
le recto:
1 : par Transsibérien
2: départ le mercredi 03/09/1913
3: de Houilles / Seine et Oise
4: pour le Tonkin
le verso:
1: arrivée le samedi 27/09/1913 à Haïphong
2: distribuée le dimanche 28/09/1913 à Phuly
Nous sommes bien en présence de la seule lettre connue (les 2 autres sont des cartes-postales) transportée de France vers l’Indochine par le Transsibérien avant 1914!
Mais quel a été son itinéraire?
Les détails suivant sont reconstitués grâce à l’article de Henri Tristant « La Voie Postale Transsibérienne » (F.M. n°163 de 1964, pages 33 à 74).
La lettre a voyagé sous dépêche de Houilles à Haïphong, la Poste russe n’acceptant pas de courrier « à découvert » par la voie Transsibérienne (Article II paragraphe 5 de la Convention Postale Universelle de 1906). Levée à Houilles le mercredi 3 septembre 1913 à 12h30, mise sous dépêche et envoie à Paris Etranger.
Départ le soir même, départ journalier de la Gare du Nord (en 1912, le train part à 22h) par le train postal n°125 de Paris à Tergnier, puis train postal n° 127 de Tergnier à Moscou, durée 87h20 en 1912.
annexe au BM des Postes et Télégraphes de février 1912, page XXXV
Le transsibérien part de Moscou les dimanche, mercredi et vendredi (à 23h30 en décembre 1908, BM des Postes et Télégraphes de décembre 1908, page 314). Le train partant de Paris le mercredi assure donc la correspondance avec le transsibérien du dimanche. Ce dernier arrive à Vladivostok en 9 jours (en 1911, d’après H. Tristant), le trajet était encore de 12 jours et 7 heures en 1907 (BM des Postes et Télégraphes n°5 de mai 1907, page 133) jusqu’ici pas de problème…
En 1905, une des conséquences de la guerre russo-japonaise est la fermeture de l’itinéraire par Kharbin et Port-Arthur (https://en.wikipedia.org/wiki/Russian_Dalian ). La zone est occupée par les Japonais, seul transit par cet itinéraire le courrier à destination du Japon ou de la Mandchourie (cette faculté est précisée dans la Convention Postale Universelle de 1906, dans une « clause spéciale » ). La dépêche doit donc transiter par Vladivostok pour rejoindre Shangaï où se trouve le bureau de poste Français (BM des Postes et Télégraphes n°5 de mai 1907, pages 132-133, confirmé par le BM des Postes et Télégraphes n°4 d’avril 1913, page 111, qui précise les modalités d’acheminement des colis postaux), et où se fait la correspondance avec les paquebots des Messageries Maritimes… C’est 2 jours de bateau de plus que par Port-Arthur.
BM des Postes et Télégraphes n°5 de mai 1907, pages 132-133
Paradoxalement, certains courriers de Chine vers l’Europe semblent avoir utilisé l’itinéraire de Port-Arthur vers Kharbin entre 1905 et 1914, évitant ainsi le détour par Vladivostok, mais nous n’avons pas trouvé trace de cette possibilité dans les textes officiels de la Poste Française pour le courrier de France vers la Chine (ou le Tonkin).
De Vladivostok, un paquebot-poste de la Société du Chemin de Fer Chinois de l’Est ou de la flotte russe assure la correspondance et transporte la dépêche jusqu’à Shangaï où elle est remise à la Poste française. En 1903 ce trajet était donné pour 6 jours par la flotte volontaire russe (BM des Postes et Télégraphes d’octobre 1903, page 287), en 1907 il n’est que de 4 jours (BM des Postes et Télégraphes n°5 de mai 1907, pages 132-133). La dépêche est remise à la Poste française le samedi 20 septembre.
Carte de la région pendant l’occupation japonaise, collection SetMC Lisieux
La dépêche repart de Shangaï sur un bateau français que nous n’avons pas su identifier. Possiblement un des bateaux des Messageries Maritimes assurant la liaison entre l’intérieur de la Chine, le Japon et la France comme le « Peï-Ho », le « Yunnan » ou le « Meinam » qui desservent Kobé avant de remonter le fleuve Yang-Tsé-Kiang jusqu’à Hankéou puis rejoindre Dunkerque et Anvers via Shangaï, Haïphong, Saïgon….(voir les informations maritimes des journaux « Le Matin » ou « Le Petit Journal » de l’année 1913, sur Gallica).
Seule certitude, ce n’est pas un des paquebots de la ligne N de Yokohama à Marseille car les dates ne correspondent pas, et ces paquebots ne desservaient pas Haïphong (le Magellan était à Shangaï le 17, mais la dépêche n’y arrive que le 20).
Entre le samedi 20 et le samedi 27 septembre, cela laisse 8 jours pour effectuer la liaison Shangaï-Haïphong qui se fait par bateau. Haïphong est bien sur la ligne des paquebots Français des lignes secondaires entre Singapour et Shangaï comme le montre la carte ci-dessous (Salles)
Et dans son article des Feuilles Marcophiles n°163, H. Tristant nous dit:
lettre « Via Hong Kong Transsibérien » de Haïphong pour Paris, 26 novembre 1913 (Coll. SetMC)
La durée totale du voyage de notre lettre de Houilles à Haïphong est de 23 jours et 23 heures, c’est un des temps les plus courts observé sur les courriers du Tonkin pour la France de la même époque, et ayant voyagé par le Transsibérien. Et cela confirme l’itinéraire par le Transsibérien, l’itinéraire par bateau étant de 25 jours pour Marseille-Saïgon (ligne N), auquel il faut ajouter 5 jours Saïgon-Haïphong, et 1 jour pour Paris-Marseille.
Restons modeste, il y a de fortes chances que d’autres lettres existent au fond de certaines collections… l’itinéraire « Via Transsibérien » était la norme à partir de 1913 pour le courrier à destination du Tonkin comme l’indique ce texte:
Annexe n°15 de décembre 1913 au BM des Postes et Télégraphes, page VIII
Si un de nos lecteurs peut présenter des éléments certains, qui permettraient de confirmer ou contrarier cette supposition, merci de nous contacter.
Merci à Gilbert Douron et Pierre Reynaud pour m’avoir fourni l’article intégral de Henri Tristant « La Voie Postale Transsibérienne », Les Feuilles Marcophiles n°163 de 1964, pages 33 à 74.
Merci à Michel Catherine pour nos constructives confrontations d’opinions, et pour la correction de cet article.
Merci à Bruno Chabrolin pour nous avoir montré sa carte postale de 1903, et nous avoir indiqué un article du Forum des Collectionneurs de 2011 qui nous a mis sur la piste de 2 autres courriers transsibériens France-Asie. http://collections.conceptbb.com/t5601-marcophilie-coloniale-et-transiberienne
Au sujet de la 1ére révolution Russe, voir également notre article http://cpl14.fr/?p=2598
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