Article d’argent, retour sur le dossier 1806.1

ajout de pièces et mise à jour le 10/02/2018, en fin d’article

Le 31 août 2017, dans notre article « Lettres de Lisieux« , nous vous montrions un reçu imprimé pour un ARTICLE D’ARGENT du bureau de Lisieux sous la référence 1806.1.

Et dans cet article, la bibliographie vous renvoyait aux travaux de Raymond Sené, de l’Académie de Philatélie…

Monsieur Sené faisant partie de nos lecteurs assidus, c’est avec son concours que nous revenons aujourd’hui sur ce dossier obscur pour beaucoup de marcophiles.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un article d’argent? c’est ce que l’on nomme aujourd’hui un mandat-poste.

Voici la définition du Dictionnaire du Commerce de 1839:

 

Ce service postal est donc créé sous Louis XIII, le 16 octobre 1627, mais il faut attendre 1783 pour que la Poste édite un document imprimé alors unique, la Reconnaissance que l’expéditeur envoie au destinataire (délibération Ferme des Postes du 14 février 1783, applicable au 1 juillet 1783).

Reconnaissance vierge (collection RS)

 

Reconnaissance datée du 21.02.1791 (collection CL Lisieux)

cette dernière voyage « en Port Dû » : la somme de cent quarante quatre livres en port du

à cette date, il n’y a pas encore de « Droit de Timbre » (voir notre note ci-dessous), le destinataire recevra donc 144 livres – 5% pour le port

soit 136 livres 16 sous (ou sols)

 

Lors du dépôt, un reçu est remis à l’expéditeur:

collection H.M Deauville

 

Revenons sur ce reçu et laissons parler Raymond Sené:

Il s’agit  du récépissé  délivré au bureau de Lisieux pour un envoi d’argent à Rouen. A cette époque le titre remis au déposant est une reconnaissance. Le déposant le fait parvenir par n’importe quel moyen, à son correspondant. L’argent circule à découvert, sous forme d’un « group (e) », petit paquet de papier contenant l’argent, fixé par un point de cire à la lettre d’avis de la dépêche.
Le destinataire se rend à son bureau de poste et, sur présentation de la reconnaissance, le group* lui est remis.
Le décompte au dos (qu’il serait intéressant de présenter) doit correspondre au montant des droits (5 %), au droit de timbre fiscal, car montant supérieur à 10 F, et parfois au montant du port de la lettre d’envoi de la correspondance. Parfois l’expéditeur soustrait au montant de son envoi, ses frais. Et alors, pour notre casse-tête (et celui des postiers de l’époque **), le droit de 5 % porte non plus sur la somme totale, mais sur la somme qui circulait. 
**:  c’était un tel casse tête qu’il y a des circulaire avec des tableaux qui donnent le montant des droits suivant qu’ils sont payés au départ, donc soustraits de la somme expédiée, ou payés à l’arrivée par le destinataire.

*: group est le terme utilisé à cette époque. Ce mot n’est plus utilisé de nos jours. (voir rectificatif à la fin de cet article)

En effet, au dos de la reconnaissance et parfois au dos du reçu de l’expéditeur (pour un port payé), on trouve le décompte de la somme à verser au destinataire:

dos de la Reconnaissance pour Wissembourg (collection CL Lisieux)

la somme remise est bien de 136 livres 16 sols (144 livres -5%)

 

Alors comme le demande Raymond Sené, voici le dos du reçu de 1806:

collection HM Deauville

 

Aïe, Aïe, Aïe… c’est quoi ce charabia!

Pour décortiquer ce reçu, il faut quelques notions de notre ancien système monétaire,

Tout d’abord le système des Livres, sols et deniers:

1 Livre (noté #) = 20 sols (ou sous) et 1 sol = 12 deniers

Pour faciliter les calculs, il faut passer en mode « hautement composé », c’est à dire en deniers (1 livre = 20 sous = 240 deniers)

Ensuite, il faut connaitre la conversion en Francs…. la Loi du 25 germinal an IV définit le taux de conversion monétaire entre le franc et la livre tournois:

101 livres tournois + 5 sols tournois  =  100 Francs.

donc 24 240 d + 60 d = 24 300 d = 100 F,

ou 243 d = 1F,

et 1 # = 240 d, soit 1 # = 0.9876F (environ)

et inversement 1F = 243 d = 20 s et 3 d = 1 livre et 3 deniers…

Vous avez compris? alors on passe à la suite.

La paléographie (du grec ancien παλαιός / palaiόs (« ancien »), et γραφία / graphía (« écriture ») est l’étude des écritures manuscrites anciennes

Nous faisons donc appel à un paléographe pour déchiffrer le texte:

Et maintenant on détaille ce décompte et on lit que:

-le débiteur devait 233 # 6 s 8 d, il avait déjà payé 96 #, il déduit de sa créance des frais de port à hauteur de 3 # 6 s 8 d qui lui étaient dû, et il envoie donc 134 #

-au bureau de poste, le décompte est établi de la sorte: sur 134 #, il faut 7 # de port, il reste donc 127 # soit 125,71 F à transporter…

Suivant les Instructions Générales de 1792:

source R. Sené

 

Et maintenant la preuve du génie des mathématiques qu’il fallait être pour être employé des postes:

Le client veut envoyer 134 livres moins les frais de ports (qui sont de 5% de la somme transportée)… et le droit de timbre qu’il ne faut pas oublier et qui est de 35c.

Le droit de timbre: c’est une taxe fiscale sur les transport de valeurs supérieures à 10F, instaurée par la loi du 25 mai 1799 (6 prairial an VII) 

Faisons les conversions:

134 # = 134 x 240 = 32 160 deniers

moins le droit de timbre: 35c = 0.35F = 85 d

donc 32 160 – 85, il reste 32 075 d sur lesquels il faut prélever le port. Ce port étant de 5% de la somme transportée, on obtient la formule:

32 075 = X + (5% de X);   soit 32 075 = 1.05 X;   donc X = 32 075 / 1.05;   alors X = 30 547,5 d (arrondi)

reste à reconvertir en francs: 30 547,5 d / 243 = 125,71F

Nous avons donc bien 134 livres dues, 7 livres de port (arrondi, en réalité 6 # 14 s 4 d) et un solde de 127 # (arrondi également, en réalité 127 # 5 s 7 d)

CQFD

L’Instruction Réglementaire de 1817  fait cesser la transport d’argent à découvert. Ce sont désormais des mandats et on ne verra apparaître ce mot que sur les récépissés du modèle de 1832.  Le mandat est payé par le directeur du bureau destinataire sur sa caisse … d’où la nécessité de le prévenir par lettre d’avis, pour qu’il puisse aller chercher d’argent chez un confrère ou à l’enregistrement. On ne peut plus envoyer des monnaies étrangères, des bijoux, etc…, d’où la création des reconnaissances de valeurs cotées. (note de R. Sené )

 

(*)Le GROUP: retour sur notre erreur de commentaire

Suite à la lecture de notre article, Raymond Sené nous a transmis les pièces ci-dessous. Nous tenons à les publier car, outre le besoin de rectification de notre erreur de commentaire, ces pièces présentent un intérêt historique:

le terme GROUP y est bien toujours utilisé en 1981!

Ce mot figure dans le dictionnaire Larive et Fleury de 1887:

lettre de voiture de l’an 11 (25 février 1803)

 

A propos de GROUP / E / ES
voici le scan d’une PETITE FEUILLE D’AVIS émise par le bureau de l’armée d’Italie (de Breshia ou Breccia ou Brechia …) en l’an 6
Comme c’est plus grand que A4 …. le document est en 2 morceaux raboutables.
On voit le résidu de la cire ayant servi à coller le Group.

Il reste un résidu du papier – imprimé en italien – qui enveloppait le ou les articles.
Amicalement
Raymond Sené

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